BRESTOIS, TON PATRIMOINE MARITIME FOUT LE CAMP !

Publié le par Olier Francois

Lettre ouverte aux brestois(es)
concernant le transfert à Lorient et Rochefort des collections  du service  historique de  la défense, département  Marine  de  Brest 
(Télégramme de Brest du 10 octobre  2007)



CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCEE


    Ami(e) Brestois(e)

        Les collections documentaires du service historique de la marine de Brest (26000 ouvrages et 7000 mètres linéaires d’archives [2001]) partiront pour Lorient mais resteront en Bretagne pour l’essentiel. Que voilà une excellente nouvelle ! Merci M. Morin. Merci M. le Ministre de la défense. Enfin des collections bretonnes, uniques et de première importance qui ne rejoindront pas Paris et les palais nationaux. Mais attention cela ne se fera pas avant juin 2010 (Télégramme, 12 octobre, éd. Morbihan). Quel soulagement. Les universitaires et les généalogistes brestois disposent d’un sursis avant exécution. Après cette date ? Il faudra changer d’orientation de recherche pour les uns ou se mettre au jardinage pour les autres.

        Il est vrai qu’à Brest nous avons la réputation – qui n’est pas usurpée – de ne pas faire de manières et que nous acceptons de céder à ceux qui savent y faire, de larges pans de notre patrimoine et cela depuis des décennies (Canot de l’Empereur, plan-relief de la ville, etc.). A Brest, l’on préfère mettre en valeur les blockhaus – oh ! pardon – les épaves du « patrimoine défensif », modernes vespasiennes des quartiers émergents et laisser filer – en catimini – des fonds d’archives inestimables remontant à Louis XIV. Mais cette conception artistique largement partagée par nos amis lorientais eux aussi grands amateurs de béton armé ne paraît plus leur suffire ; ils lorgneraient avidement vers nos fonds ancestraux et sont prêts à draguer l’archive, de l’Elorn au Couesnon. Ils en ont la volonté affichée, l’entregent politique, les complicités maritimes, scientifiques et humaines. Ne rêvons pas. Toute cette restructuration ne fleure pas bon la lavande et a nécessité – nécessitera encore – des alliances locales peu avouables mises en oeuvre par des technocrates du patrimoine plus habitués à traiter la pièce d’archive à la tonne ou au mètre linéaire qu’à s’en servir comme vecteur de connaissance et autour desquels se contorsionnent les services du ministère de la Défense, les conseils régionaux de Bretagne et de Charente, les municipalités de Brest, Lorient et Rochefort.

    Et nous Brestois. Qu’allons nous faire ? Verser une larme au départ de la première caisse du déménagement ? Inviter nos marins passionnés, nos historiens, nos étudiants, nos généalogistes, nos retraités écumeurs de salles obscures, MM. Jean Quéméneur et Loulou Kervella à prendre une carte d’abonnement TER quotidienne pour Lorient sponsorisée par les services de M. Jean-Yves le Driant, président du conseil régional de Bretagne - et "ancien" maire de Lorient - ? ou nous mobiliser pour maintenir à Brest ce trésor patrimonial ?

    Brestois. De toute façon à entendre le bruissement satisfait des éminences parisiennes missionnées pour la circonstance, l’affaire est faite ; elle est dans le sac et nos fossoyeurs l’ont bien en main. Tout cela se traite entre professionnels, entre honorables conservateurs qui se découpent la France archivistique à l’envi. Mais avant de pleurer et de t’incliner devant le catafalque de ton passé qui fout le camp, je t’invite à te déplacer au service historique de la Marine, rue du commandant Malbert et à découvrir par toi-même les trésors qu’il recèle. Et cela, sans attendre BREST 2008 et la mise ne berne du patrimoine maritime brestois. C’est ton droit - même et surtout - si tu n’es pas marin d’Etat.  C’est aujourd’hui le devoir de chaque brestois de découvrir ou de redécouvrir son patrimoine. Il nous en reste si peu de cette qualité.

Brestois. De prime abord, au service historique, tout te semblera bien neuf, bien tranquille, bien propret, bien « marine ». Tu seras déçu comme je l’ai été il y a plus de trente ans en y entrant pour la première fois. Mais entre nous… c’est une illusion ! Les trésors sont dans la coulisse. Ne te laisse pas démonter. Insiste ! Tu connais la Royale, l’esquive, le rideau de fumée, l’art du camouflage… Ici c’est pareil. Alors voici quelques pistes à explorer avant la mise en bière :

Brestois, demande aux sympathiques agents de salle à consulter la correspondance manuscrite des intendants du roi, celle des préfets maritimes – mais oui, mais oui – les magnifiques registres du bagne, reliés pleine peau, où tu pointeras du doigt le matricule de François Vidocq ; la collection des cartes et plans, celle des cartes postales de la Marine d’antan, le fonds des autographes du conservateur Levot ou les collections bretonnes du médecin général Laurent… et si tu as de la chance – à défaut de temps – tu rechercheras la trace de tes ancêtres parmi les dizaines de milliers de matricules de gens de mer et d’ouvriers du port. Tu pourras y découvrir jusqu’à la couleur de leurs cheveux…

Entre nous : si tu es attaché à ce fonds de documentation et au patrimoine brestois en général. Fais un geste militant. Va te faire établir une carte de lecteur - c'est gratuit !

Brestois, profite bien de ces petits plaisirs de la recherche. Mais n’oublie pas que le temps t’est compté.

Mais au fait. Il me vient comme une idée. Est-elle saugrenue ? A vous de juger :
Pourquoi ne garderions nous pas ces merveilles à Brest ? celles qui intéressent la ville, parmi les plus anciennes comme la correspondance des intendants du roi ou des préfets qui avaient à connaître des affaires de la cité – représentation de l’Etat oblige -, les fonds privés, ceux de l’hôpital maritime, la bibliothèque dite moderne qui fera de toute façon redondance avec les collections lorientaises. Pour nos enfants, pour nos petits-enfants, pour les étudiants qui fréquentent de plus en plus nombreux notre bonne ville. Pourquoi les céder. M. René Estienne, grand manitou des conservateurs de la marine, le lauréat gagnant du concours de la restructuration 2008-2012 du service historique de la défense, interrogé par le Télégramme nous annonce une numérisation imminente des collections. Pour ceux qui travaillent sur ce vaste sujet d’actualité cela prête à sourire et m’a motivé pour commettre ce billet d’humeur. La numérisation des collections de la marine ! Vaste rigolade. Tout brestois en âge de tenir le « mulot » peut aller sur internet vérifier par lui-même qu’il n’ y a pas la moitié du début d’une amorce de réalisation de ce TGV numérique – à l’échelon central, aux archives nationales, à Vincennes, à Toulon, Rochefort, etc. nulle part - . Tout cela n’est qu’effet de communication et propos de circonstance. Mais M. Estienne nous promet « d’ici peu (sic), 100% des collections accessibles en ligne… » ; ça c’est fort ! Je croyais que la Marine était en période de restrictions budgétaires et elle voudrait se lancer dans un chantier pharaonique où même les archives nationales peinent à obtenir un résultat et doivent s’associer avec nos amis canadiens pour mettre sur la toile quelques documents d’archives ciblés sur l’Histoire de la présence française en Amérique du nord – Je crois plutôt que l’on se moque des brestois et que tout argument est bon pour faire passer la pilule et aspirer les collections où qu’elles se trouvent.
 Il reste encore un espoir ténu. Je ne peux pas croire que nos édiles, que nos élus, toutes tendances politiques confondues, laissent filer sans chercher à le retenir ce legs hérité de nos pères, qui a été préservé pour l’essentiel des bombardements de 1944. Ce sera d’autant plus facile que pour le service historique de la marine, ce fonds historique brestois a été « détruit en grande partie pendant la guerre » (voir Télégramme du 10 cotobre). Cette docte affirmation doit faire sourire les chercheurs qui consultent aujourd’hui à Brest parmi les centaines de registres des XVIIème-XVIIIème siècles.

La Marine brade. Alors M. le Maire, profitons en !

    Faites vous céder par la Marine la garde des collections qui intéressent Brest et la vie locale. Si vous avez des doutes, si vous manquez d’idées sur son « devenir » brestois, allez à la rencontre des archivistes municipaux et départementaux, des bibliothécaires, des universitaires. Interrogez vos amis politiques lorientais ou rochefortains. M. le Maire, vous pouvez même contacter Mme Guyot conservatrice du service historique de la marine à Brest et lui témoigner, en dépit de ses dires, tout l’intérêt que vous portez à son travail de conservation et à celui de ses agents (voir Télégramme du 10 octobre). D’autres vous détailleront, mieux que moi, la richesse de ce fonds qui est brestois et finistérien avant d’être « marine » ; de ces collections constituées, avec goût, pièce par pièce, par des générations attachées à Brest et à l’activité littorale, qui pourraient servir de faire-valoir d’excellence au pôle universitaire de la mer, à la nouvelle bibliothèque mixte que vous souhaitez voir développer (municipale et universitaire). Cette acquisition serait un véritable don du ciel pour Brest puisque la marine du Ponant, gardienne tutélaire des collections s’en désintéresse et traite ces trésors du passé comme de vulgaires archives administratives sans âme, sans vie, sans cœur. La Marine solde. Profitons en !

Je ne peux croire que la ville de Brest si attentive aux évolutions culturelles même d’avant-garde ne se penche avec détermination sur le dossier scandaleux du transfert à Lorient et à Rochefort d’un pan entier des « derniers restes » de son patrimoine séculaire.

Brestois, ton patrimoine fout le camp !



    François OLIER (Brest)


Publié dans DOSSIERS

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